09 mars 2025

MARTIN CIRCUS : Martin "Disco" Circus


Acquis à la Bourse BD Disques d’Épernay le 2 février 2025
Réf : LD. 8520 -- Édité par Vogue en France en 1978
Support : 33 tours 30 cm
5 titres

Depuis son lancement en 2006, le label Born Bad a pris une place importante dans le paysage musical français, à la fois pour son catalogue d'artistes contemporains (Bryan's Magic Tears, La Femme, Frustration, Star Feminine Band, Zombie Zombie, Forever Pavot, Gwendoline...) et pour son minutieux travail d'archéologie discographique. Parmi les rééditions qui m'ont marqué ces dernières années, il y a la découverte de Mazouni, les productions maison d'Henri Salvador, les compilations de musique antillaise Disque la rayé et Antilles méchant bateau, l'intégrale des Calamités, Voulez-vous cha-cha ? et Des jeunes gens modernes, les volumes de Pierre Vassiliu et Francis Bebey...

Chacune de ces rééditions permet une découverte ou une réhabilitation d'artistes inconnus ou méconnus. Avec la dernière parution Évolution française 1969-1985 de Martin Circus, le défi est vraiment dur à relever. En effet, très vite après ses débuts où ils étaient à la pointe d'une vague de "pop" made in France et en français, et au fil de multiples changements de formation, le groupe a basculé dans la variété.

Il se trouve que c'est l'un des premiers groupes que j'ai vus en concert. Par recoupement, j'ai déterminé que c'était le 4 juillet 1974, lors de l'étape du Tour de France à Châlons-sur-Marne. Un podium à l'affiche duquel il devait y avoir également Georgette Plana. On était déjà loin des élans rock progressif des débuts. Les 45 tours qu'on avait dans la discothèque familiale dans ces années-là, c'était L'accident heureux et Ma-ry-lène, et parmi leurs autres succès on trouve Drague party, Bye-bye cherry, Comme au bon vieux temps du rock 'n' roll, J'en perds mes baskets...
Évidemment, Évolution française évite soigneusement ces nanars pour aller piocher d'obscures faces B, des titres d'album méconnus ou des productions tardives, mais dans l'ensemble j'ai du mal à accrocher à la sélection, y compris les titres plus rock des débuts. De fait, les seuls extraits qui ont pour l'heure trouvé grâce à mes oreilles sont Mon premier hold-up, leur adaptation de Let's dance de Chris Montez, Bains-Douches, tiré de leur album "New Wave" De sang-froid (mais quand je l'avais chroniqué, j'avais préféré Tous des robots et le ska instrumental Banana baby) et aussi Disco circus, mais on va y revenir.

En effet, quelques jours après l'annonce de la sortie d'Évolution française se tenait la bourse BD Disques annuelle de l'association BD Bulles. Je n'y ai pas fait d'achats en grande quantité (aucun 45 tours, notamment), mais j'en suis revenu avec quatre 33t intéressants, un du groupe congolais Choc Stars, le premier Alberto Y Lost Trios Paranoias, une compilation de Jona Lewie dont je connaissais tous les titres, mais qui m'a amené à retravailler une vieille chronique et à la republier dans l'Arrière-Magasin. Et puis j'ai acheté à un monsieur qui avait un carton avec quelques disques bradés à 2 € cet album de 1978 de Martin Circus, en parfait état.
Il y a eu à cette époque un engouement pour les disques en couleur. Pathé Marconi en avait profité pour rééditer les Beatles et Vogue avait été très actif sur ce plan : cet album n'est pas rose comme le Plastic Bertrand ni orange comme mon 45t de fanfare disco belge, mais rouge comme mon maxi de Kiss !

Ce disque est particulier pour plusieurs aspects.
Tout d'abord, il s'agit de la musique originale du film Les bidasses en vadrouille. Initialement, j'ai pensé que Martin Circus s'était contenté de composer la musique, ou qu'ils faisaient une apparition dans un film des Charlots, mais ça ils l'avaient déjà fait en 1971 pour Les bidasses en folie, où l'on voyait aussi Triangle.
Non, là, les producteurs ont fait appel à eux pour être les vedettes du film, estimant apparemment que les Charlots étaient devenus ringards.
En tout cas, on ne peut pas écouter ce disque en faisant abstraction qu'il est intimement lié à ce film, que je vous propose maintenant de voir en intégralité (je ne l'ai pas fait moi-même, j'avoue !), un super-navet, Les bidasses en vadrouille :


Les bidasses en vadrouille, de Christian Caza (1978). Attention, film complet. Ne pas dépasser la dose prescrite.

Autre particularité de ce disque : il est court. Il faut dire que les productions du groupe se succédaient à un rythme soutenu. Là, il y a juste sept titres, dont deux jingles, Pouêtt et Pouêtt pouêtt, et seulement deux compositions différentes, l'instrumental d'ouverture Ite missa est et la chanson Pour m'en aller plus loin, déclinée en version Disco circus sur la face B pendant près d'un quart d'heure.

Enfin, on peut se demander qui joue vraiment le gros de la musique sur ce disque. Voilà ce qu'écrit Guido Minisky dans les notes de pochette d’Évolution française : "Dans l’ombre, depuis le début du groupe, un homme tire toutes les ficelles: le manager et directeur artistique Gérard Hugé. Il travaille à la fois pour le groupe et le label, ce qui n’est jamais une bonne nouvelle. La seule chose qui l’intéresse: que sortent des disques, peu importe qui joue dessus. Au milieu des années 70, il dépose le nom Martin Circus. Il a les pleins pouvoirs.".
Cela m'a incité à décortiquer les crédits de l'album. Il est précisé en lettres capitales qu'il a été "conçu et réalisé par Martin Circus". Et les quatre membres du groupe sont listés en premier, à pas mal de titres, dont le vocoder et les synthés Oberheim, Korg, et Prophet. Mais il y a un remerciement à "Gilles, Zizi et Charlie pour leur sympathie, leur bonne humeur et leur énergie", qui est sûrement largement mérité, puisque Gilles Tinayre se charge des arrangements, cordes et cuivres et de divers claviers. Quant à Serge Haouzi dit "Titi", il est à la batterie, aux percussions et aux syndrums et Charlie Cohen joue de la basse et des percussions. Tous les trois chantent, tandis que Joël "Flangerman" Fagerman s'est chargé de la programmation des synthétiseurs.
Je me demandais comment des musiciens de rock pouvaient d'un seul coup maîtriser toute l'électronique utilisée par le disco. Le plus probable est que ce ne sont pas les membres titulaires du groupe qui ont enregistré la majeure partie de la musique qu'on entend sur le disque.

C'est en contradiction avec le titre, mais l'instrumental Ite missa est ouvre l'album. Comme l'ensemble du disque, c'est du disco bien réalisé, avec basse pneumatique, séquenceur, synthé et, malheureusement pour moi, envolées de cordes.

Ensuite, Pour m'en aller plus loin est le seul titre chanté. Là au moins on est sûr de la participation des membres du groupe. Mais qui dit chant dit paroles et là c'est quelque chose. Elles sont signées Évelyne Courtois, qui a enregistré dans les années 1960 sous le nom de Pussy Cat, qui a écrit plein d'autres textes pou Martin Circus et qui, c'est comme ça que le lien a dû se faire, fut l'épouse de Gérard Hugé.
Pour vous donner un échantillon, ça commence par "Je crache sur la tombe du temps qui fait de nous des morts-vivants" avant d'autres maximes telles que "Aucun oiseau ne peut chanter s'il n'a pas choisi d'être prisonnier" avant de finir mystérieusement par "Peut-être que dans un an ou deux je serai des larmes au bout des yeux"...!

Disco circus reprend là où se terminait la chanson, avec des chœurs qui font "Plus loin", et poursuit effectivement bien au-delà avec des
"Ah ah ah ah ah" et surtout de l'instrumental à base de séquenceur (mon "instrument" préféré du genre), de claquements de mains électroniques, plus la basse, les synthés, les cordes, voire même peut-être une guitare au son trafiqué. Si on rentre dans le rythme c'est prenant et au bout d'un quart d'heure les danseurs devaient être essoufflés sur les pistes.

Cet album a eu droit à une édition américaine chez Prelude, sans les jingles, il ne restait donc que trois titres, avec une adaptation en anglais de Pour m'en aller plus loin, transformé en Before it gets dark.
François Kevorkian, français installé aux États-Unis, est devenu un grand nom du remix dans les années 1980, grâce notamment à son travail pour Kraftwerk ou Depeche Mode. En 1978, il en était encore à ses débuts, mais il était déjà directeur artistique de Prelude. De façon assez surprenante, alors que les maxis de disco cherchaient à durer le plus longtemps possible, il a concocté pour la sortie en single de Disco circus une version réduite de moitié. C'est celle-ci qu'on retrouve sur Évolution française. On est loin des Bidasses en vadrouille, mais, quitte à céder à la fièvre du disco, le mieux est peut-être d'y y aller à fond, avec la version complète de l'album en vinyl rouge, avec les pantalons patte d'eph et les tenues satinées !

A voir :
Martin Circus mime Pour m'en aller plus loin dans une émission d'Antenne 2.



La pochette de l'édition américaine de l'album. Ils souffrent, les pseudo-gars de Kiss...!

02 mars 2025

ZERO : Am I your new toy


Acquis par correspondance via Discogs en mai 2014
Réf : SRS 4673 -- Édité par Silence en Suède en 1981
Support : 33 tours 30 cm
9 titres

Quand j'ai chroniqué son 45 tours I wanna be a machine, j'ai annoncé à la fin qu'il serait sûrement à nouveau question de Robert Broberg ici car je venais de commander plusieurs de ses albums. Bon, c'était il y a presque onze ans... Le temps passe vraiment vite, mais il n'est pas trop tard pour bien faire.
Je ne le savais pas, mais entre-temps, guère plus d'un an après ma chronique, Robert Broberg est mort en juillet 2015, à 75 ans.

Il a connu le succès dans les années 1960 sous le nom de Robban. En 1972, il a rompu avec sa carrière et a quitté la Suède pour s'installer aux États-Unis. C'est apparemment à ce moment-là qu'il a rejeté son nom de vedette Robban et opté pour le pseudonyme Zero. Mais il n'a sorti des disques sous ce nom, trois albums et deux singles, qu'entre 1979 et 1981 (cependant, Tolv sånger på Amerikanska, sorti en 1978 sous le nom de Robert Broberg, est listé au dos d'une des pochettes comme un album précédent de Zero).

Pour faire la transition, le premier album, Motsättningar - Circle O Zero on uma N.E., est crédité Robert Broberg presenterar Zero. Il a été
enregistré en direct en 1979, en partie en tournée et en partie en studio. C'est celui qui me plaît le moins.
En 1980, Robert Broberg a tourné un spectacle intitulé Circus Zero.
Le deuxième album, Kvinna eller man, enregistré à l'automne 1980 et sorti en février 1981, est un peu dans la même veine que le premier, mais des titres comme le single Tom top! font un peu la transition avec Am I your new toy, enregistré en août-septembre et sorti en octobre 1981.

Ce troisième et ultime album est mon préféré de Zero et je le considère comme le véritable successeur de Tolv sånger på Amerikanska. Leurs points communs sont des paroles entièrement en anglais, contrairement aux deux premiers Zero, et des thématiques de chansons sur la technologie, les machines, la modernité. Les deux disques ont aussi une photo de face de Robert en pochette.
La grande différence entre les deux albums, c'est que Tolv sånger på Amerikanska était un album enregistré en groupe et largement acoustique, tandis  que Am I your new toy est littéralement un album solo de Broberg (aucun autre musicien n'est mentionné) et qu'il est plutôt synthétique. Il se crédite aux voix et aux effets vocaux parce qu'il y a effectivement plein d'effets tout au long du disque, des bruitages, des accélérations, des ralentissements... A ce titre, on peut considérer que c'est l'album new wave de Robert Broberg.

L'album est compact et d'excellente tenue de bout en bout.
Il s'ouvre avec une excellente séquence, Johnny Surprise, dans la veine des Nits époque Tent, You make it happen (1 + 2) et Am I your new toy, avec une rythmique faite d'effets vocaux et un tout petit bout de solo façon Snakefinger.
Il y a une petite baisse de régime avec To climb the ladder of hope, mais la première face se termine sur un ton guilleret avec Jump & dance & hope & hope, avec un chant qui, comme ça arrive régulièrement avec Broberg, me rappelle Alig de Family Fodder.

Ça n'a rien à voir avec leur obscurité Let's go, mais le Let go! de Zero m'a fait penser au Devo synthétique de Freedom of choice et des albums suivants.
La rythmique de base de Your clothes talk est un bruitage qui ressemble au son d'une balle de ping pong sur une table. Ça fonctionne bien ! Lucky me ! a une rythmique vaguement reggae, comme I wanna be a machine, mais aussi un air plutôt country, avec encore des bruitages. C'est léger et excellent.
L'album se clôt avec sa chanson la plus longue, Robot out in universe. C'est un robot qui se prétend humain, qui indique croire en Dieu et qui implore qu'on ne le traite pas comme une machine. Je ne suis pas sûr que ça reste longtemps de la science fiction.

D'autres albums de Robert Broberg ont été réédités en CD, mais pas celui-ci et c'est bien dommage. On trouve le vinyl d'occasion pour pas cher, mais c'est les frais de port qui sont désormais prohibitifs.

21 février 2025

JUNIOR KELLY : Go down Satan


Acquis à la Bourse aux disques de Tours-sur-Marne le 9 février 2025
Réf : [sans] -- Édité par Font Page en Jamaïque en 2000
Support : 45 tours 17 cm
Titres : JUNIOR KELLY : Go down Satan -/- FRONT PAGE GROUP : Rhythm

Dans l'année, il y a très peu de bourses aux disques dans le secteur d’Épernay, mais il se trouve que ce mois-ci il y en a eu deux à une semaine d'écart : la désormais traditionnelle bourse BD-Disques de BD-Bulles le 2 à Épernay, et la première organisée par l'association Familles Rurales à Tours-sur-Marne le 9.

Je n'ai pas fait d'emplettes géniales (je reviendrai prochainement sur une "perle" trouvée à Épernay), mais j'ai quand même acheté quelques disques sur deux stands à Tours. D'abord un 45 tours du Sri Lanka Police Reserve Hewisi Band, à la pochette et au nom prometteurs, mais malheureusement la musique, comme le titre l'annonçait, consiste simplement en percussions traditionnelles. A l'autre stand, j'ai trouvé deux albums en assez piteux état mais à 1 €, et surtout il y avait une boite de 45 tours à 50 centimes. Assez vite, j'ai repéré ce qui était visiblement un 45 tours jamaïcain. Puis un autre. Au bout du compte, il y en avait une dizaine, certains sans même une pochette neutre en papier blanc, mais je les ai tous pris, par peur de rater quelque chose d'intéressant, et surtout parce que je ne tombe plus souvent sur des lots de disques.

Je m'étais déjà fait la remarque : les machines servant à imprimer les étiquettes de rond central à Kingston n'ont pas dû être changées depuis les années 1960. De prime abord, les étiquettes de mes 45 tours paraissent anciennes, floues et de mauvaise qualité, alors que ces disques sont parus au début des années 2000. Il n'y a parfois que la mention d'un email ou d'un site web qui signale que ce n'est pas une sortie une trentaine d'années plus tôt.
Et il y a besoin d'en imprimer des étiquettes, tant la production de reggae est délirante. J'ai été surpris de voir que Junior Kelly, dont je n'avais jamais entendu parler, a sorti plus de 200 45 tours selon Discogs ! Et encore, c'est un petit joueur : rien que parmi mes achats du jour, Galaxy P en a aussi plus de 200, Anthony Red Rose plus de 300 et le record est pour Capleton à 878, dont 3 qui figurent dans le lot que j'ai acheté.

Ce 45 tours est le premier que j'ai écouté de la pile et au bout du compte c'est mon préféré du lot.
L'immense productivité du reggae jamaïcain est facilitée par une pratique bien ancrée : l'utilisation de riddims, c'est à dire la séquence de base d'une chanson, pour en créer de nouvelles. Une pratique à la base notamment du style dancehall.
Par exemple, le plus grand succès de Junior Kelly, Love so nice, utilise le riddim de Stir it up de Bob Marley.

Autant de nombreux enregistrements ragga, dont plusieurs dans mon lot, incorporent des sons électroniques, autant Junior Kelly fait partie de ceux qui sont plutôt restés fidèles au son roots du reggae.
Go down Satan est une chanson bien entraînante. Je ne comprends pas les paroles, mais j'imagine que la thématique est cousine de celle du Chase the devil de Max Romeo. Il s'était déjà intéressé plus au moins à ce sujet en 1996 avec Go to Hell, un titre surprenant car c'est une valse !

Le riddim utilisé pour Go down Satan, c'est Please be true par Alexander Henry, un titre paru en 1969 chez Studio One, dont les enregistrements sont la source d'un grand nombre de riddims. Je ne connaissais ni la chanson ni son interprète, mais on recense 77 enregistrements utilisant ce riddim !
Si on compare l'instrumental du disque original, Please be true version par Sound Dimension, et celui en face B de mon 45 tours, Rhythm par Front Page Group, on se rend compte que Junior Kelly est resté proche dans l'esprit du son original.
Je n'ai pas passé en revue toutes les différentes versions de riddim, dont plusieurs ont été publiées par Studio One, qui fort logiquement ne s'est pas privé de "piller" ses propres productions. Pour montrer l'évolution au fil des années, on peut juste écouter West gone black par Jah Jesco et sa version en face B, qui l'adapte au son de 1975.

Ce disque encapsule donc à lui tout seul un bon bout de l'histoire du reggae. Il n'y a pas d'autre bourse aux disques qui se profile à l'horizon près de chez moi mais, avec le printemps qui s'annonce dans quelques semaines, j'aurai peut-être l'occasion de faire bientôt de nouvelles trouvailles en vide-grenier.

A écouter :
Front Page Group : Rhythm


15 février 2025

VIGON : Popcorn popcorn


Acquis d'occasion dans la Marne probablement dans les années 2000
Réf : 640 005 -- Édité par Egg en France en 1970
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Popcorn popcorn -/- Frozen steak "popcorn"

J'ai déjà parlé ici de la vague Popcorn initiée par James Brown. C'était à l'occasion de la chronique du Dance the popcorn de Vic Upshaw. J'ai aussi déjà chroniqué un disque de Franz Auffray, un neveu d'Hugues, sous le pseudonyme du Synthetic Cha Cha Band. J'y mentionnais qu'il avait produit avec Sam Choueka (le Sam du tube Alors ça va) tout un album consacré à cette danse, le désormais très recherché Original popcorn). Cet album est sorti sur Egg, un label de Barclay créé en 1969 par Franz Auffray. Sur ce même label, au même moment ou bien juste après, est sorti ce 45 tours crédité à Vigon, où l'on trouve des versions de deux des compositions de l'album.

Intéressons-nous d'abord à l'album, qui je pense est venu d'abord.
Il y a très peu de crédits. La production est de Franz Auffray, la moitié des titres est co-signé par Sam Choueka. Le groupe Cruciferius, également signé chez Egg, aurait participé à l'enregistrement, ce qui veut dire qu'on entend Bernard Paganoti (futur membre de Magma) et François Bréant (futur pilier du groupe de Lavilliers, entre autres) sur cet album recherché pour ses "breaks" par de nombreux échantillonneurs. Il se dit que l'album aurait été enregistré en une nuit, pourquoi pas, et qu'on y entendrait aussi Vigon au chant. Ça, j'en doute, je pense qu'il y a confusion avec le 45 tours.

On a trouvé bon d'ajouter sur la pochette du 45 tours la mention  "Version originale" pour Popcorn popcorn de Vigon. C'est souvent louche, voire mensonger. Je pense que la version album de Popcorn popcorn est la première (Le titre d'ouverture, Popcorn Popcorn hey hey hey eat some popcorn every day n'est pas en ligne, je ne sais donc pas si c'est exactement la même composition).
La bande instrumentale et les chœurs sont identiques sur les deux versions, même si le mixage est différent. La version du 45 tours s'interrompt après 3'50, celle de l'album continue encore trois minutes. Et surtout, le chant est différent.
Sur l'album, le chanteur se fait remarquer par un rire maléfique et de grands cris d'horreur. Vigon, lui, ça s'entend, a une voix de chanteur de rhythm and blues. Je peux me tromper sur toute la ligne, mais si je devais parier, je dirais que c'est Sam Choueka qui chante sur l'album.
Dans les deux cas, c'est plein d'énergie, avec notamment une batterie très sèche, et c'est excellent.

La face B du 45 tours, Frozen steak popcorn, est un instrumental strictement dans la même veine. Là encore, à part un retour au début après dix secondes, l'enregistrement est le même que l'une des pistes de l'album. Sauf que, sur l'album, Salted popcorn est chanté, par le même chanteur que pour Popcorn popcorn. Ce qui tend à confirmer qu'il ne s'agit pas de Vigon, car je suppose que si le label avait disposé de deux titres chantés par Vigon, il les aurait mis tous les deux sur le 45 tours.

Concernant Vigon, une affiche de concert partagée par des fans de musique rémois me fait rêver depuis quelques temps :



J'avais six ans à l'époque le 13 avril 1969, ça ne risquait pas, mais j'aurais bien aimé assister à ce super festival de Rythm' and Blues, dans un village du vignoble à une quinzaine de kilomètres de là où j'habite aujourd'hui. Et quelle organisation de la part de Jean-Pierre et René, avec la navette en car gratuite depuis Reims. Et le groupe local Le Soul Set, soutenu par la Boutique Randall, "fer de lance de la mode"...!

Vigon, c'est un nom que je connaissais depuis longtemps, réputé chez les collectionneurs de disques. C'est notamment pour ça que j'ai acheté ce 45 tours. Mais il n'était pas nationalement célèbre, en tout cas pas avant sa participation en 2012 au télé-crochet The voice. A la suite de quoi, en trio avec Erick Bamy et Jay, il a eu un grand succès en 2013 avec l'album Les Soul Men. J'ai essayé d'écouter leur version de Les moulins de mon coeur de Michel Legrand, mais ce n'est vraiment pas ma tasse de thé.

09 février 2025

IVOIR' COMPIL VOLUME 3


Acquis chez Récup'R à Dizy le 17 janvier 2025
Réf : IVO CD 003 -- Édité par Ivoir' en France en 1998
Support : CD 12 cm
14 titres

Ça s'est passé un peu comme avec Daouda : On allume la télé restée réglée sur Melody d'Afrique et on tombe au milieu d'une émission compilant des passages télé d'un chanteur. C'était très bien, mais le nom de l'artiste n'a pas été rappelé à la fin. Il a donc fallu que j'enquête pour le trouver.
La page Facebook de la chaîne n'est pas mise à jour depuis quelques temps, mais comme cette chaîne a tendance à multi-diffuser les mêmes programmes, j'y ai très vite trouvé la trace d'un précédent passage de cette émission et j'ai appris que la gars que je venais de voir était Ernesto Djédjé.
Le nom m'était a priori inconnu, mais j'ai été intrigué de noter que j'avais précédemment visité sa page sur Discogs. En fait, pile une semaine plus tôt, j'avais acheté une poignée de CD à la ressourcerie (un événement ces temps-ci : c'est la seule fois depuis le début de l'année qu'il y a eu un arrivage), parmi lesquels cette compilation de musique ivoirienne. Je ne l'avais même pas encore écoutée, mais j'avais creusé un peu les infos sur Discogs. A cette occasion, je m'étais rendu compte que, contrairement à ce que je pensais, on ne trouvait pas sur le CD uniquement des titres de la fin des années 1990, mais aussi quelques autres "vieilleries" des années 1970 et 1980, dont le succès Ziboté sur lequel je venais de m'éclater en faisant des chœurs phonétiquement pour accompagner Ernesto à la télé, sans me douter un seul instant que ce titre venait précisément d'intégrer ma discothèque !

Mon CD est le troisième volume d'une série d'au moins dix Ivoir' compil. Le choix des titres est explicité dans le livret par Raymond Akishi : "Ivoir Compil contribue non seulement au lancement des artistes et des nouveaux talents, mais accorde une place aux titres ivoiriens qui, tubes à une certaine période, n'ont pas profité de l'avènement du disque laser.". Au dos du livret, Henri Kattié, qui est à l'origine du projet, se met paradoxalement en lumière avec une grande photo couleur et une auto-citation : "Le succès d'un artiste dépend du savoir faire des travailleurs de l'ombre".

Dans l'ensemble, j'ai une préférence pour les "anciens" de la compilation, à commencer donc par l'excellent Ziboté, de 1977. Ernesto Déjdjé est mort à 35 ans en 1983, d'empoisonnement, dans des circonstances non élucidées. Il était notamment connu comme "Le Roi du ziglibithy".
J'aime aussi beaucoup les contributions de deux empereurs,
Okoi Seta Athanase, l'empereur du Kete rock, avec Atto è kokoin manh, également de 1977, et Digbo Daloh, l'empereur d'Aloukou, avec Bahizrehikou et ses percussions avec tambours et bouteille.
Les sons de synthé sont un peu envahissants et surtout superflus, mais Exode rural de Djinns Music est une belle ballade. Elle est tirée de leur unique album, que j'ai également dans mes étagères.

D'une manière générale, les chansons récentes au moment de la sortie du disque en 1998 sont celles qui réussissent le mieux l'amalgame entre sons "modernes" (synthé, boite à rythmes) et instruments plus traditionnels (percussions, guitares, cuivres).
La palme pour moi revient à Marc Lenoir & Aboutou Roots avec Hip hop youssoumba, qui démarre justement comme une chanson traditionnelle, avec peut-être une rythmique un peu synthétique, jusqu'à ce qu'Aboutou Roots intervienne  avec son rap tranquille en français, qui célèbre même la valeur travail dans sa première intervention.
Parmi mes autres titres préférés, il y a la séquence Abidjan dja d'Antoinette Konan, avec sa rythmique façon séquenceur, l'ambiance reggae de Deni d'Hamed Farras et Awhona gnou de Luckson Padaud, et aussi Mlen ginnie d'Ade Liz, une chanson de 1985.

Ce disque ne payait pas de mine avec sa pochette façon couverture de magazine, et en d'autres temps je l'aurais peut-être ignoré. Mais en cette période de disette, je ne regrette pas du tout les 50 centimes que j'ai investis. Il m'aurait fallu beaucoup plus pour me procurer les vinyls des titres les plus intéressants.

La compilation est intégralement en écoute sur YouTube.


Ernesto Déjdjé, Ziboté. C'est l'extrait que j'ai vu sur Melody d'Afrique.


Ernesto Déjdjé, Ziboté, au sommet CEAO à Yamoussoukro, en 1982.


Wedji Ped de Djinn's Music, Exode rural, en 1979.



01 février 2025

THE RUTS : Jah war


Acquis neuf en solde probablement chez A La Clé de Sol à Châlons-sur-Marne ou à Reims au début des années 1980
Réf : 2141 248 -- Édité par Virgin en France en 1979
Support : 45 tours 30 cm
Titres : Jah war -/- S.U.S.

Parmi ses multiples rééditions, Cherry Red vient de sortir Roots rock rebels, un coffret triple-CD sous-titré Quand le punk a rencontré le reggae 1975-1982. Parmi les 54 titres, il y en a une bonne partie que je connais et apprécie, dont beaucoup sont dans mes étagères.
Le livret est préfacé par Don Letts, l'homme incontournable sur la question. Il a notamment publié deux volumes de compilations Dread meets punk rockers uptown en 2001 et 2015, co-réalisé le documentaire Two sevens clash : Dread meets punk rockers en 2017. Mais surtout, en tant que DJ au Roxy à la grande époque du punk et proche de The Clash, il a probablement été un élément déclencheur du rapprochement entre punk et reggae, qui se concrétise notamment en 1977 par la reprise de Police and thieves par The Clash sur leur premier album, le single Punky reggae party de Bob Marley & the Wailers produit par Lee Perry, puis la rencontre entre Clash et Lee Perry pour l'assez décevant 45 tours Complete control.
Après ça, ce fut une explosion, entre reprises (Johnny was des Wailers par Stiff Little Fingers) et originaux imbibés de reggae, dont Watching the detectives de Costello, pour aboutir fin 1979-début 1980 à ce qu'on a appelé le "reggae blanc", et aussi à la vague ska 2-Tone.
Les punks de The Ruts notamment ont eu des liens particuliers avec le reggae. Actifs au sein de Rock Against Racism et proches de Misty In Roots, ils ont sorti leur premier single sur le label du groupe People Unite.

J'ai dû découvrir les Ruts et entendre pour la première fois Jah war le 3 janvier 1980, lors de la diffusion de leur prestation au Théâtre de l'Empire pour Chorus. Le groupe venait alors de sortir son premier album, The crack, qui n'aura jamais de successeur puisque, six mois plus tard, le chanteur Malcolm Owen était mort (l'héroïne, c'est dangereux...). A l'époque, j'ai acheté d'occasion Grin and bear it,la compilation "posthume" du groupe, et aussi ce maxi, soldé à 15 francs.

Jah war est le quatrième single de The Ruts, l'une de leurs grandes réussites avec le très clashien Babylon's burning. Il est tiré de l'album et est sorti à l'automne 1979.
La chanson rend compte d'une journée très particulière, celle du 23 avril 1979 à Southall, une banlieue de l'ouest de Londres. A l'initiative entre autres de l'Anti-Nazi League, une grosse manifestation a été organisée contre la tenue à l'hôtel de ville d'un meeting du National Front. La répression brutale de la manifestation a fait un mort, Blair Peach (Reggae fi peach de Linton Kwesi Johnson) lui est dédiée). Le siège de People Unite, qui se situait dans le quartier et qui servait ce jour-là de poste de premiers secours, a été investi et ravagé par la police. Le matériel technique de Misty In Roots a été détruit, de nombreux occupants ont été blessés, dont leur manager Clarence Baker, cité dans la chanson, qui est resté cinq mois dans le coma.
La chanson déroule son rythme sur près de sept minutes, dans une excellente ambiance reggae avec chœurs et cuivres, qui passe légèrement au dub dans la deuxième partie.

En Angleterre, ce single n'est sorti qu'en petit 45 tours. Jah war a été réduite de moitié pour l'occasion. Sur la face B, on trouve une bonne chanson punky inédite par ailleurs, I ain't sofisticated.
Polydor, qui distribuait Virgin en France à l'époque, en a fait voir des vertes et des pas mûres aux fans de New Wave, à commencer par les pochettes de Go 2 et de This is pop d'XTC.
Pour l'édition française en petit 45 tours de Jah war, pas de problème, Polydor a reproduit fidèlement le 7" anglais. Mais visiblement ils souhaitaient particulièrement soutenir les Ruts et ils ont décidé de sortir une version maxi-45 tours de ce single (c'est le seul pays au monde à l'avoir fait). Très bien.
Pour la face A, pas besoin de concocter une quelconque version "spécial club", la version de l'album pour remplacer la version raccourcie s'imposait.
Pour la face B, ces cons-là, au lieu de tout simplement d'ajouter un titre bonus à I ain't sofisticated, il y avait largement la place, ils ont choisi de la remplacer par S.U.S. Ce qui fait qu'on se retrouve avec deux titres de l'album et aucune rareté !

S.U.S.
fait référence à la loi SUS, une loi anti-vagabondage de 1824 facilitant les interpellations et les fouilles pour simple suspicion de délit, que la police utilisait bien sûr à la fin des années 1970 pour harceler particulièrement les noirs et les asiatiques.
Pour le coup, c'est une bonne idée thématiquement d'associer S.U.S. et Jah war. Et il y a un autre lien avec LKJ, puisque sa terrible Sonny's lettah est sous-titrée Poème anti-Sus.

Après la mort de leur chanteur, les membres de The Ruts ont eu un parcours tout à fait honorable sous le nom de Ruts DC. Ils ont même enregistré et tourné avec Valérie Lagrange en 1981 !


The Ruts en concert au Théâtre de l'Empire à Paris pour l'émission Chorus diffusée le 3 janvier 1980. Le premier titre est Jah war.


The Ruts en direct dans l'émission de la télévision belge Follies en janvier 1980. Le premier titre est Jah war.